de Xangongo a Etosha
Xangongo, le quatre janvier
Dans l’unique Pensao de la ville, le groupe électrogène fait tellement de bruit que les murs de la piaule en vibrent. Si l’Angola vit ses soirées au rythme des groupes électrogènes, on peut dire qu’ici c’est du super vivant…mais vu comme ça, ça ne se voit pas vraiment. Depuis Lubango jusqu’ici, on descend des plateaux pour arriver dans une interminable plaine suffocante. Le long de la large piste de tôle ondulée, la tendance est au Sahélien; acacias épineux, baobabs et herbes sèches sur sol sablonneux. Dans le coin, le baobab se porte en extra large, à la mode sahélienne, je vous dis.
Alain m’avait signalé que quelque part sur la route, je tomberais sur un arbre gigantesque, il ne savait plus où, mais je ne pouvais pas le rater, qu’il m’avait bien dit. De fait, on ne peut pas.
En dessous de ses frondaisons qui peuvent abriter une bonne partie de la population du village et le cheptel bovin, j’ai longuement discuté avec quelques petits gars du coin. De la guerre, de la route, de l’école sans livres, de la poste qui n’arrive pas jusque-là puis des touristes Suddafs qui photographient l’arbre, mais ne descendent même pas de la bagnole. Je leur ai dit que c’était le plus bel arbre du pays, qu’il avait mille fois plus d’allure que le Jésus planté de Lubango et que s’ils ouvraient un bistrot pour quand la route serait construite, il y’ en aurait plein qui s’arrêteraient des touristes. En disant ça, je me disais aussi que je ferais sans doute mieux de fermer ma gueule, parce que tout le monde sait ce que ça fout comme bordel, des touristes, quand ça commence à rappliquer.
À la pause bistrot suivante j’ai repété ma béquille, les soudures angolaises ont la vie de plus en plus courte. Puis quelques kilomètres plus loin dans une enfilade de trous en pleine brousse, j’ai perdu une valoche. T’as pas l’air con, là, sans béquille. J’ai d’abord décroché l’autre valise pour appuyer la moto dessus. C’était pas super évident parce qu’il fallait en même temps tenir la bécane et accéder au verrouillage de la valoche qui est bien sûr, super dur d’accès et complètement à l’arrière. Quand j’ai eu fini de ramasser tout ce qui était éparpillé sur la piste, je me suis demandé comment j’allais arriver à refixer la valise qui tenait la moto sans tout vautrer. Tous les voyageurs savent très bien que n’importe où, même dans le désert, quand on s’ y attend le moins, il y’a toujours quelqu’un qui débarque. Là, ils étaient deux. En plus, à cause de cette histoire de démarreur, je venais de regarder un peu avant dans le dico comment on demandait de l’aide à quelqu’un. C’est « ajudar », le mot, et là je pouvais déjà passer aux travaux pratiques. Ils m’ont tenu la bécane et n’ont même pas eu à pousser pour redémarrer, ce coup-là le démarreur a fonctionné.
Arrivé à Xangongo, j’ai tout de suite trouvé un atelier de soudure, comme ça le lendemain, il y’aura moyen de partir à l’aube.
De Xangongo à Etosha
Il me restait cent cinquante bornes de pistes avant la frontière et mon arrière-train était un peu reposé. Il y’a super longtemps, mon pote Yvan, le macrobate, avait commencé à m’apprendre à monter à cheval sur le vieux Coco, un canasson efflanqué mais très discipliné. À la fin d’une journée de trot pas enlevé du tout, je me souviens bien que je m’étais retrouvé avec deux durillons en bas du cul…et bien là, c’est pareil ; la tôle ondulée, après quelques heures, il faut songer à se la faire en trot enlevé, sinon je te raconte pas les dégâts aux fesses!
Il faut aussi apprendre à jouer avec le vent. C’est important quand on croise un camion ou qu’on se fait doubler par un quat’quat qui veut pas foirer sa moyenne. Si on n’a pas saisi où va le vent, on peut se taper un paquet de kilomètres dans les nuages de poussière des autres. Il y’a toujours un sens par où la poussière s’échappe et quand la piste est large, il vaut mieux rouler du mauvais côté que de bouffer du sable toute la journée. Comme en plus, une fois franchie la frontière, il faudra y rouler du mauvais côté, autant s’ être un peu habitué avant.
Certains vous diront sans doute qu’il n’y a pas de raison pour que ça soit l’autre qui ait tort, mais bon, encore une fois chacun détient sa vérité et celle-là a le mérite de ne faire de tort à personne.
La sortie d’Angola se passe sans problème. C’est incroyablement étonnant comment un pays où le visa est aussi compliqué à obtenir, soit aussi facilement franchissable par la route. Côté Namibien, c’est plus tatillon. Le flic de l’immigration tient vraiment à savoir combien de jours je compte rester, ce qui est assez débile puisque le visa est gratuit. Arrivé à la douane, la charmante mais néanmoins parfaitement stupide fonctionnaire ,n ‘arrivait pas à comprendre que je puisse sortir du pays par un autre côté. Il a même fallu l’intervention de son collègue pour qu’elle puisse admettre que c’était possible.
Et après toute cette récréation c’est trois cent bornes de ligne droite à travers un paysage semi désertique parfaitement désolé. La route est bonne et terriblement ennuyeuse, il n’y a plus de trous ni de tanks cassés au bord de la route. Un vent brûlant souffle latéralement ; mais où est donc passée la saison des pluies ?
Je me suis arrêté dans un Lodge genre de luxe à l’entrée du parc d’Etosha. Pas de groupe électrogène, pas de clim bruyante, une piscine avec des antilopes et une girafe qui broutent juste à côté, tout ça sent le vrai, bon et total repos bien mérité…
Le lendemain, c’est l’étape de la mort ; huit kilomètres d’un Lodge à l’autre, y’ a la moyenne qui va morfler c’est sûr. Ici c’est moins luxe, mais la constante Lodge est un peu toujours la même. Des petites maisons à toit de chaume, rondes ou carrées, au milieu des arbres et des pelouses, un bar et un resto à toit de chaume aussi, sur pilotis, accrochés aux arbres ou entre les rochers et des petites allées tortueuses d’une case à l’autre. Le monde du Lodge, c’est un décor comme on les aime quand on est môme, un petit village de lutins entouré de la nature sauvage, entouré finalement d’une autre image d’enfance, celle du pays des bêtes suvages. Cette Afrique qu’on a tous en mémoire et qu’on oublie complètement quand on traverse par la route, tant cette Afrique-là, il faut bien reconnaître qu’elle n’existe plus. Évidemment, on ne rencontre ici que des touristes rougeauds et bedonnants venus des quatre coins du monde civifriqué, à la recherche du monde perdu de leurs vieux livres d’aventure ; mais de préférence avec un bar bien équipé, un resto avec tout ce qu’il faut et une piaule super climatisée pour pouvoir dormir sous une couette, parce qu’il est hors de question de suer sous un ventilateur.
J’ai voulu faire l’appoint d’huile, ils m’ont amené un gros bidon et c’est seulement après avoir fait le niveau que je me suis rendu comte que c’était de l’huile de boîte. Je ne sais pas vraiment ce que ça fait de rouler avec une huile à la viscosité maximum. Dans le doute, j’ai fait la vidange et un p’tit gars bien gentil est allé me chercher deux litres dans le Lodge où j’étais le matin ; il a même voulu me la mettre dans le moulin mais comme la bouteille était bien remplie, je me retrouve avec un niveau d’huile plutôt supérieur à la moyenne. Je ne sais pas trop si c’est mieux d’avoir trop d’huile que pas assez, mais au moins cette fois-ci, ce n’est pas de l’huile de boîte. Et demain, bien sûr, sera un autre jour.