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Lundi, juste après
J’ai donc quitté Lusaka, capitale de la Zambie, ville assez anonyme mais pas moche non plus. Plutôt étendue, avec son pas de centre et ses tas d’avenues dispersées, la ville est un peu arborée mais pas trop. On a un peu du mal à s’y repérer parce qu’on est jamais vraiment certain d’être dehors ou dedans et il n’y a pas des masses d’ d’indications. Pour en sortir, j’ai un peu ramé. Il fallait que je redemande ma route tout le temps. Je crois que j’avais la tête dans les nuages, ou plutôt dans le cul…oui c’est plutôt dans le cul que je l’avais cette fois-ci. De toute façon, au résultat, l’effet est le même, on se plante à chaque carrefour, on ne sait jamais où on en est ; dans les nuages, on le prend bien; dans le cul, on a les boules. La route est moche, il y’a trop de camions et en plus voilà que je me fais choper par le seul radar d’Afrique. Ah là, c’est pas dans les nuages que je l’ai ma tête. Quatre vingt dollars…putain, ça m’énerve. Je finis par trouver un petit rythme plus détendu sur cette interminable ligne droite au milieu d’une infinie prairie trop verte pour ne pas sentir la pluie, quoique un tout petit peu arborée quand même mais pas trop. Il ne peut rien se passer sur une route pareille, j’en oublierais presque que je suis en Afrique, j’en oublierais presque tout. Mais mon pneu me ramène à la dure réalité. Les aventures du pneu chinois, on les attendait l’an dernier; surprise, on est en plein dedans. En trois secondes me voilà sur la jante. C’est normal, c’est juste deux jours après une réparation faite je ne sais comment, par je ne sais qui, dans la nuit, au bord de la route . Avec un pneu sans armature c’est comme il y’a trente ans, t’as pas vraiment le choix, si tu crèves tu t’arrêtes comme tu peux, juste en essayant de ne pas te vautrer. Je m’arrête donc tant bien que mal sur le bord de cette route pas bien large où les gros camions qui vont au Congo se tirent des bourres impressionnantes. Génial. Je commence à démonter consciencieusement, de toute façon il n’y a rien à faire d’autres. Mais en extrayant la chambre du pneu, je la découvre irréparable , inrecollable, complètement bonne pour la poubelle. Je commence à vaguement tenter, sans trop y croire, d’arrêter les bagnoles qui passent, et là je l’ai vraiment dans le cul, ma tête. Le temps passe, le doute s’installe…dans ces cas-là, il ne faut pas douter, sinon tu l’as tellement dans le cul ta tronche, que tu te noies dans ta merde. Alors je continue et bien sur, il y’ en a un qui a fini par s’arrêter. Ce sont deux fermiers blancs dans un vieux pickup Izusu. Ils me proposent d’emmener ma roue à la ville la plus proche, mais moi je dois rester là, il faut bien surveiller la bécane. Bon, allez, que je me dis, prenons ça à la cool, je sors un vieux classique russe de mon sac, je me calle par terre entre mes bagages et je commence à bouquiner. Mais faut pas croire que je vais m’en tirer comme ça ; c’est quand la pluie a commencé à tomber avec application que j’ai vraiment senti la journée pourrie pour rien. Vaguement callé sous le seul arbre digne de ce nom, je reste planté comme un zombi pendant presque deux heures. Les voilà enfin qui rappliquent, mes fermiers blancs. On commence immédiatement à remonter puis on découvre presque aussi immédiatement, que le pneu est dégonflé.
Pas de panique, on remet ça. Et les voilà reparti aussi sec ; enfin l’expression est assez inadéquate, parce que, putain, qu’est ce que ça mouille. Deux heures passent, je comate vaguement, debout contre mon arbre. Il y’a parfois quelqu’un qui s’arrête pour savoir si tout va bien. Un coup c’est un minibus taxi, un coup des espèces de flics en civil…et puis les revoilà ; ils me disent que ça n’est qu’une réparation provisoire et qu’il faut que je les suive. C’et vrai que ça sent le provisoire à remarquer comment tangue ma bécane. Ils m’amènent devant un portail anonyme et là je me retrouve chez un Allemand qui organise des balades à moto dans les réserves du coin. Il y’a des bécanes avec des pneus de dix sept dans tous les coins. J’ai un peu du mal à y croire. A ce moment-là, comme un somptueux pet d’éléphant, voilà mon pneu chinois qui largue définitivement son dernier souffle.