Quand je suis resté un jour de plus à Praïa de Tofo pour
pouvoir replonger sous la mer, je m’étais dit que j’avais tout le temps, la
moto avait tenu un peu plus de dix mille bornes alors qu’au départ, je croyais
à peine arriver à quitter Luanda. Les
deux dernières plongées ne furent pas des plus exceptionnelles tant la
visibilité, pourrie par quatre jours de queue de cyclone malgache, en était
rendue à sept ou huit mètres maxi. J’ai quand même, vu, scotché entre deux eaux
troubles, un très élégant ballet de raies. Elles étaient comme des mantas mais
version un peu plus petite, et plutôt
gris verdâtre sur le dos…Et donc, le lendemain à l’aube, j’ai repris la route.
Au début il y’a toujours les palmeraies de cocotiers, puis on passe à une
savane plus classique et à la fin, après Xaï Xaï qu’on prononce Chaïchaï, ce
sont de grandes plaines vaguement agricoles, de la canne à sucre, de l’osier et
puis du vent. Il commence à faire vraiment très chaud, je m’arrête dans un
bistrot portugais pour m’enfiler un hamburger suddaf et un Fanta
mozambicain…quelques idées de scénario me sont venues sur la moto, il faut donc
noter ça très vite avant que ça se carbonise sous mon casque surchauffé. Et voilà que débarquent au même troquet deux
motards suréquipés sur des Buell flambant neuves dont la turbine de
refroidissement du cylindre arrière te lance une espèce de sifflement insensé,
mais il paraît que c’est normal. Ce sont deux journalistes de la presse moto
hollandaise qui se sont fait prêter les machines pour un article ; de
vrais aventuriers, quoi. Je leur parle de mon blog et de Motomag et je leur
vante les mérites des vieux flats increvables et du pilotage en tongs et puis
je les salue, je fais vrombir ma bête et je m’arrache. J’ai toujours appris à
bien doser mes démarrages de frimeur discret. Je me souviens d’une époque où je
devais aller récupérer une petite fille de sept ans à la sortie de l’école. Je
savais qu’elle tenait vachement à ce que je fasse un vrai démarrage pour épater
ses copines mais en même temps, comme on ne fait pas un wheeling de brute
devant une école et que sa mère m’aurait arraché les yeux si j’avais commis la
moindre faute de quart, j’ai appris à doser. Maintenant elle va avoir trente balais, sa mère ne m’a toujours
pas arraché les yeux et moi je démarre toujours de la même façon quand je sais
qu’on me regarde et qu’on compte un peu sur moi pour montrer que ma bécane
monstrueuse c’est de la vraie machine en fer…c’est ce minimum-là qui fait le
style gentleman-rider si classieux avec les tongs, et là sur la route de
Maputo, quatre vingt bornes avant la fin du voyage, il a pas eu l’air con le
gentleman-rider. La bonne grosse panne que j’avais réussi à éviter c’est
maintenant que j’y avais droit. On se demande toujours si les hasards en sont
vraiment, mais quand j’ai vu arriver les deux motards en Buell, je savais
qu’ils allaient m’aider. Ils ne pouvaient pas faire grand chose mais ils
avaient un téléphone. J’ai pu prévenir le centre culturel où j’étais attendu et
comme je n’étais pas très loin, ils m’ont envoyé un pickup de secours. J’avais
déjà eu le temps de vérifier qu’il n’y avait pas d’étincelle aux deux bougies
mais que ce n’était pas la faute aux bobines. Avant les bobines il y’a
l’allumeur et comme l’allumeur est relié au bout de l’arbre à cames, ça sentait
la rupture de distribution. Un rapide coup d’œil sous les caches-culbuteur m’a
rassuré quant au fait que je n’étais pas trop nul en diagnostic de mécano mais
que je n’irais plus très loin cette année. Le pickup est arrivé et les quatre
vingt derniers kilomètres se sont fait assoupi dans la bagnole. Maintenant,
chaque matin, je vais faire un peu de formation BD au centre culturel . L’après
midi, je démonte ma bécane chez Gilles que je connais depuis quelques années
déjà et qui a une grande maison blanche avec vue sur la mer et un spacieux
garage où mon destrier fatigué pourra attendre quelques mois que je revienne à
l’automne prochain pour une fois de plus lui redonner une nouvelle vie.